Inutile de dire que Tarantino est l’un, sinon le plus grand réalisateur de film “d’auteur” du moment. Once upon a time in Hollywood, son dernier chef-d’oeuvre (oui oui, c’en est bien un) a eu pas moins de 2 millions et demi d’entrées en France en un mois, et a cumulé aux U.S., toujours dans le même laps de temps, un total de 134 368 392 dollars de recette.
Bref, inutile de tergiverser: Tarantino est un grand, et il mérite de passer à la postérité.
Une question se pose cependant: qu’est-ce qui fait son succès? Après tout, ses films ne devraient plaire qu’à une niche qu’on qualifierait très probablement de “nerd” (peut être pas à tort tout compte fait), experte en cinéma “underground” et calée en films d’auteur n’ayant pas dû être visionnés plus de 7 fois au total; et pourtant Tarantino a une résonance globale, il semble s’affranchir de ce statut de “cinéaste de genre” et rassemble les gens grâce à une magie qu’on a du mal à discerner.
Cependant, à y regarder de plus près, il est impossible de ne voir aucune ressemblance, que ce soit dans le fond ou dans la forme, entre les films de Tarantino et le courant Dada.
Remise en contexte: le Dada est un courant artistique qui naît en 1916, soit en pleine Ière guerre mondiale, et s’articule autour d’un constat très simple: ce monde n’a aucun sens. Les dadas, souvent considérés comme nihilistes, sont donc extrêmement influencés par la violence et même surréelle de la Ière guerre mondiale, mais, au lieu d’entrer dans une phase de mutisme et de ne garder comme contact avec le monde extérieur que l’air qu’ils respirent, ils clament haut et fort au monde entier, sorte de dernier appel au secours:
“Alors comme ça le soldats meurent asphyxiés par des gaz artificiels dans les tranchées? Ce que vous nous faites subir n’a tellement plus de sens que même rajouter mille jambes à un cheval ne serait pas surréel. Alors, pourquoi ne pas le faire?”
Les dadaïstes en ont donc ras-le-bol de tout ce non-sens, et répondent au non-sens par l’absurde (joli paradoxe tout-de-même). L’art Dada est ouvertement provoquant, dérisoire, écervelé même, un vrai retour à l’âge d’enfance où tout est si doux et si facile… Le Dada a l’absurde dans son même nom: Hugo Ball, père fondateur du mouvement, a trouvé le terme “dada” en piochant un mot au pif dans un dictionnaire Larousse…
Les dadaïstes remettent aussi en cause les goûts du spectateur: en plaçant un public ignare devant un urinoir reconverti en oeuvre d’art, l’artiste demande à l’audience:
“Si vous approuvez cette guerre vide de sens, pourquoi ne pas approuver ce joli urinoir que je vous présente?”.
Le Dada est révolutionnaire dans le sens où il veut chambouler ce monde devenu triste et terne en subvertissant les normes de beauté et de la “décence” par la présentation d’oeuvres de mauvais goût, à la limite du scandaleux.
Maintenant que le dada n’a plus de mystère pour vous, vous devez sûrement avoir compris pourquoi je le compare à l’art de Tarantino. Tarantino, avec ses films, entend bien évidemment choquer. “Pourquoi cet effluve de violence?” se demande-t-on. Tout simplement car, comme un dadaïste, Tarantino se moque de nous et questionne notre rapport à la violence. En nous montrant un gangster couper l’oreille d’un policier, scène par ailleurs extrêmement explicite et à peine censurée par un mouvement de caméra qui semble percevoir notre envie de voir l’intégralité du spectacle, Tarantino nous dit, goguenard: “Vous aimez ça, hein? Avouez que vos goûts n’ont aucun sens!”. Cette question n’est, à voir de plus près, pas si rhétorique que ça: dans nombre de ses films, le film est conscient de lui même et brise le 4ème mur. Tarantino veut créer un véritable contact mental avec le spectateur.
Tout comme un dadaïste, il souhaite voir une réaction, négative ou pas.
L’important, c’est qu’il y en ait une, que quelque chose change notre état d’inertie et nous redonne goût à la vie (paradoxal pour des films ayant pour principal argument de vente l’ultra-violence et la mort). Cette destruction du 4ème mur se fait par exemple avec Beatrix résumant dans Kill Bill 2 l’histoire du 1. Ou encore dans Reservoir Dogs où la mise en abîme atteint des sommets vertigineux avec la scène de l’aéroport.
Par Andrea Bazzoli